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Catégorie 58 : Né d'aucune femme
Catégorie 58 : un livre sous forme de journal intime
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Dans les landes, au début du 19ème siècle, me semble t-il.
Dans un asile, le père Gabriel récupère les cahiers de Rose. Le récit en est bouleversant….
Rose est l’aînée d’une fratrie de 4 filles ; ses parents ont une petite ferme dont les ressources peinent à nourrir toute la famille. Le père de Rose décide alors de la « céder » pour quelques pièces dans une bourse alors qu’elle n’a que 14 ans : il ne se relèvera jamais de cette culpabilité honteuse et inavouable.
Dès que Rose franchit le portail du Domaine des Forges avec le Maître, tout chavire….« J’étais peut-être tombée chez des fous, avec le maître qui ressemblait à un ogre, sa dame souffrante que j’avais toujours pas aperçue, ni entendue, et la vieille qui avait tout l’air d’un démon. (…) Je réalisais qu’il y avait pas d’enfant dans cette maison, et sans savoir pourquoi, ça m’a glacé le sang de pas en voir ou en entendre au moins un dans ce décor. »
Ce roman est écrit dans un style admirable.
Mais peut-on parler d’horreur, d’ignominie, d’esclavage….« Au moins pendant que je trimais, je ne pensais à rien d’autre. C’est vraiment une fois remontée dans ma chambre (…) que j’ai réalisé ce qui m’était arrivé, que mon propre père m’avait vendue à un étranger, que ma mère était forcément au courant, et qu’elle avait rien fait pour l’empêcher. »
Les jours passent et Rose en vient à regretter le dur labeur à la ferme, « c’était bien plus enviable que d’obéir à ses gens, si loin de ma famille. » Elle ne sait pas alors que sa vie va basculer pour toujours, alternant entre amour et haine, douceur, beauté et extrêmes violences.
Bien sûr, il y a Edmond mais aussi la « reine mère » et Charles le Maître….
Je qualifierai ce roman de « noir » : un roman social doublé de secrets de famille, des secrets particulièrement tenaces… un texte, cru et authentique, et quelquefois dur à lire ; je dirai donc : âmes sensibles s’abstenir.
Il existe cependant des paragraphes admirablement bien décris, des paragraphes qui rappellent le passé enseignant de l’auteur, sa passion pour la biologie et l’horticulture, une description de la nature à vous couper le souffle : vous fermez les yeux et vous sentez l’odeur des fougères et de la mousse….. Quelques échappées sylvestres sont bien nécessaires pour supporter les passages de cruauté et d’abomination.
Néanmoins dès les 1ères pages du livre, je n’ai plus lâché mon histoire : une histoire impensable lorsqu’elle touche à l’enfance et au corps de la femme…. Un récit qui dérange souvent, qui interroge sur les personnages et leur perversité.
Qui sait si Rose s’en sortira : « C’est tout le problème des bonnes gens, ils ne savent pas quoi faire du malheur des autres (…) c’est sûrement pas confortable de se sentir coupable d’une chose qu’on a pas commise... »
Car Rose est une jeune femme - une enfant dirai-je ? - vive, curieuse, intelligente, qui semble vivre hors de son époque, révoltée contre la loi du Père, insoumise aux règles de l’Homme mais qui a bien compris qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même.
Plusieurs grilles de lecture sont possibles :
- un conte avec un petit Poucet, un ogre, une sorcière, un palefrenier et un curé,
- des secrets de famille qui étouffent et engluent les personnages,
- un livre sur l'identité, la filiation et l'enfantement,
- une simple histoire qui creuse la noirceur de l’âme, mais où la vie est plus forte que tout
- ou tout simplement un livre sur l’écriture….une très belle écriture.
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Pour en savoir plus :
Né d'aucune femme : dans l'effroi et le silence, n'être jamais asservie (les univers du livre – actualités)
La jeune fille et la noirceur du monde
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Tags : rose, livre, femme, maître